Source gallica.bnf.fr / BnF

de l’Estocart, Paschal : Octonaires de la Vanité du Monde

Paschal de l’Estocart (1537-1587)

Né à Noyon vers 1540, il vit en grande partie en Suisse, avec de fréquents voyages en Italie. Bien qu’ayant embrassé la Réforme protestante, comme beaucoup de ses confrères en des temps troublés, il cherche à concilier inclinations spirituelles et nécessités matérielles. Ce qui le conduit à composer à l’occasion pour des catholiques.

Ce néant de la condition humaine, la Réforme entend le rappeler à une chrétienté à ses yeux corrompue par la vie mondaine. Pourtant ces octonaires, composés sur des textes principalement écrits par les pasteurs Antoine de Chandieu et Simon Goulart, ne sont pas tristes mais d’un charme irrésistible malgré la gravité du sujet. Le contrepoint assez libre avec parfois des dissonances étonnantes enrichit une base polyphonique conforme à l’idéal protestant : celui d’une musique lisible et accessible à tous.

Octonaires de la vanité du Monde (1581)

Les Octonaires sont de courts poèmes moraux, uniformément de huit vers (d’où leur nom) brodant sur le thème commun de la vanité du Monde. Tantôt le Monde (ou le Mondain) est personnifié, apostrophé par le chrétien dont il dénonce l’inconstance, tantôt c’est le chrétien lui-même qui médite sur cette vanité.

Ces œuvres étaient au programme de juin 2020 : Débat musical au XVIIe siècle : réforme – contre-réforme

Jamais n’avoir et tousjour désirer (Livre 1-VIII)

Jamais n’avoir et tousjour désirer,
Sont les effets de qui aime le Monde.
Plus en honneur et richesses abonde,
Et plus encore on l’y voit aspirer.
Il ne jouit de cela qui est sien :
Il veut l’autruy, il l’estime, il l’adore.
Quand il a tout, c’est alors qu’il n’a rien :
Car ayant tout, tout il désire encore.

Tout ce monde est un Tabourin (Livre 2 –XVII)

Tout ce monde est un tabourin* qui sonne
L’alarme au monde, et cruel époinçonne**,
Fils contre père, et savez-vous comment ?
Par un moyen qui n’est fait que de vent.
Monde, dis-moi, d’où vient qu’un simple son
Qui sort des peaux, qu’on bat sur une écorce,
Peut émouvoir d’une telle façon
Encontre*** toi la force de ta force ?
* Tambourin ** Excite *** Malgré

Arreste, arreste, atten, ô Mondain (Livre 1-XXIII)

Arreste, arreste,atten, ô Mondain où cours-tu ?
Escoute, Escoute, enten la voix de la Vertu.
Las ! il passe outre : il court après le Monde,
Il va courant, fuyant, ainsi que l’onde
D’un gros torrent, que l’orage des cieux,
Fondu* en bas, a rendu orgueilleux.
Ma remontrance est un roc qu’il rencontre,
Passant dessus, murmurant à l’encontre,
* Disparu

Quand le Jour, fils du Soleil (Livre 1-XXI)

Quand le jour, fils du Soleil,
Nous descouvre à son réveil
La montagne coulourée
D’une lumière dorée :
Je remets en ma pensée
Le beau jour d’Eternité,
Quand la nuict sera passée,
Et ce monde aura esté.

Ô, qui pourra avoir ce bien (Livre 1-XIX)

Ô qui pourra avoir ce bien d’apprendre
A ne sçavoir le plaisir vicieux
Qui l’homme prend, quand l’homme le veut prendre,
Trompant son âme et aveuglant ses yeux ?
Ô qui pourra bien sçavoir, et bien dire,
Qu’en ce plaisir n’y a rien que martyre :
Qui pourra dire avoir ce bien ? celuy
Qui est au Monde, et non le Monde en luy.

Je vis un jour le Monde combattant (Livre 1 –XVII)

Je vis un jour le Monde combattant
Contre Vertu, sa plus grande ennemie.
Il la menace, et elle le défie.
Il entre au camp, et elle l’y attend.
Il marche, il vient, il s’approche, il luy tire.
Mais tous ses coups ne peuvent avoir lieu.
Car tous les traits du Monde sont de cire,
Et le bouclier de Vertu est de feu.

Plus tôt on pourra faire (Livre 1-XVI)

Plus tôt on pourra faire
le jour qui luit,
N’avoir plus pour contraire
L’obscure nuit,
Et marier le feu
Avec l’onde
Que de conjoindre* Dieu
Avec le Monde.
*Conjoindre = Coexister

Peintre si tu tires le monde (Livre 2 –XX)

Peintre, si tu tires* le Monde,
Ne le peins pas de forme ronde.
Car ce qui en rond est pourtrait**
Est estimé du tout parfait
Et le Monde ne le peut être,
Où défaut*** le souverain bien,
Et où tant seulement le rien
Et l’inconstance prennent être.
* Tirer = Faire le portait * Pourtrait = Portrait *** Défaut = Manque

Des Monarques la grandeur (Livre 2 –XI)

Des Monarques la grandeur,
De tant de Nobles la race,
De tant de Preux la splendeur,
Des bons Esprits le grand heur*,
Le temps et la mort effacent.
N’arrêtons doncques** les yeux
A cette lueur qui passe,
Ains*** les élevons aux cieux.
* Heur = Bonne fortune ** donc *** Ains = Plutôt

Ce Monde est un pèlerinage (Livre 2 –XXIV)

Ce Monde est un pèlerinage,
Les méchants forcenés de rage,
Y sont les dévots pèlerins,
Qui fourvoyés des droits chemins
Tombent en la fosse profonde de la mort.
Mais ô toi mon Dieu,
Guidant mes pas en autre lieu,
Tire-moi du chemin du Monde.